Les règles régissant le sort du bail commercial en cas de procédure collective sont issues de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi no 2005-845, du 26 juillet 2005).
Ce dispositif consacre un régime spécifique à la résiliation des baux des immeubles affectés à l’activité de l’entreprise (et donc des baux commerciaux) plus protecteurs que celui applicable, d’une manière générale, aux contrats en cours.
I. Le principe : la continuation des contrats en cours, en particulier du bail commercial
La règle de principe en cas d’ouverture d’une procédure collective est celle de la continuation des contrats en cours. Il s’agit d’une règle d’ordre public, aucune clause contractuelle ne pouvant y faire échec.
Le statut des baux commerciaux dispose en particulier que « le redressement et la liquidation judiciaires n’entraînent pas, de plein droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’industrie, au commerce ou à l’artisanat du débiteur, y compris les locaux dépendant de ces immeubles et servant à son habitation ou à celle de sa famille. Toute stipulation contraire est réputée non écrite ».
Le contrat de bail commercial est ainsi continué de plein droit malgré l’ouverture d’une procédure collective (qu’il s’agisse d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire) et ce, même si des loyers antérieurs n’ont pas été payés.
La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un bail commercial était en cours tant que le jeu de la clause résolutoire n’avait pas été constaté par une décision de justice passée en force de chose jugée.
L’existence d’un appel sur l’ordonnance de référé en cours lors de l’ouverture de la procédure suffit pour juger que la clause résolutoire n’est pas définitivement admise.
L’incidence des délais de grâce accordés au débiteur
Il est fréquent que le président du tribunal judiciaire statuant en la forme des référés, constate l’acquisition de la clause résolutoire, tout en octroyant des délais de grâce sur le fondement de l’article 1343-5 du Code civil.
En général, il est spécifié dans l’ordonnance qu’à défaut de respecter ces délais, la clause résolutoire sera acquise.
Lorsque cette ordonnance est définitive et a acquis force de chose jugée avant le jugement d’ouverture, si le preneur a respecté les délais de grâce, le contrat de bail sera considéré comme un contrat en cours. En revanche, lorsque le preneur n’a pas respecté les délais de grâce octroyés, le bail est définitivement résilié avant l’ouverture de la procédure collective.
Cette solution pose une difficulté lorsque l’étalement du paiement des délais de grâce se poursuit après le jugement d’ouverture ; en effet, s’agissant d’une créance antérieure, la règle de l’interdiction des paiements fait en principe obstacle au paiement des arriérés de loyers.
Cependant, le non-respect d’une décision de justice passée en force de chose jugée semble pouvoir être considéré comme de nature à justifier l’acquisition de la clause résolutoire.
Plusieurs décisions de la Cour de cassation tendent ainsi à considérer que le non-respect des délais accordés au preneur, s’agissant d’une décision définitive rendue antérieurement à l’ouverture d’une procédure collective, justifie l’acquisition de la clause résolutoire, même postérieurement à l’ouverture de la procédure collective.
Il a par exemple été jugé : “en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé si le preneur avait ou non respecté les dispositions de l’ordonnance de référé du 23 septembre 1994 et si la clause résolutoire n’avait pas été acquise avant l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision”.
Responsabilité de l’administrateur et du liquidateur
L’administrateur ou le liquidateur qui exigent la poursuite du contrat de bail commercial doivent s’assurer qu’ils disposent des fonds nécessaires, au vu des documents prévisionnels dont ils disposent, pour payer les loyers.
Leur responsabilité personnelle peut être engagée si les loyers postérieurs ne sont pas payés alors qu’ils ont choisi de continuer le contrat, en cas de retard dans la restitution des lieux loués après résiliation, ou encore, en cas de dégradation des lieux loués, à condition de démontrer que les dégradations ont été commises pendant la gestion de ce mandataire.
II. Les causes de résiliation qui découlent du déroulement de la procédure collective
Le bail commercial pourra toutefois être résilié postérieurement à l’ouverture de la procédure collective dans trois hypothèses, que ce soit à l’initiative des organes de la procédure ou bien du bailleur.
1. Cause de résiliation du bail à l’initiative des organes de la procédure collective
L’administrateur judiciaire ou le liquidateur peuvent décider de résilier le bail, notamment s’il ne pense pas opportun de continuer à payer le loyer parce que le fonds de commerce est difficilement cessible (les tentatives préalables de cession ont échoué, le bail est trop spécialisé, l’emplacement est mauvais, les loyers sont trop élevés, etc.).
Dans ce cas, l’administrateur judiciaire ou le liquidateur notifie au bailleur sa décision de résiliation du bail.
Concernant la liquidation judiciaire, c’est l’article L641-12 du Code de commerce qui réglemente la possibilité pour le liquidateur de décider de ne pas poursuivre le bail. Un texte identique existe en cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire.
L’article L622-14 du Code de commerce est en revanche silencieux sur la forme de la résiliation du bail commercial à l’initiative de l’administrateur ou du débiteur, aucune disposition particulière n’étant prévue. Une simple lettre recommandée avec accusé de réception devrait donc suffire. Il n’est pas davantage prévu de notification aux créanciers inscrits (ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas procéder à cette notification).
Les dommages et intérêts consécutifs à la résiliation
La résiliation, à l’initiative de l’administrateur judiciaire ou du débiteur, peut ouvrir droit à des dommages et intérêts au profit du bailleur.
Cette créance de dommages et intérêts doit être déclarée dans le délai d’un mois à compter de la réception par le bailleur de la notification de la décision de résiliation du bail.
Le bailleur doit alors déclarer au passif le montant estimé des dommages et intérêts (ce préjudice résultera le plus souvent de la perte du loyer jusqu’à l’expiration du bail ou de la période triennale).
On peut supposer que le très court délai qui lui est consenti pour déclarer cette créance ne permettra pas au bailleur de chiffrer avec précision son montant. Il convient toutefois d’effectuer une déclaration chiffrée et non provisionnelle, étant précisé qu’il sera toujours possible de la diminuer, non de l’augmenter.
Évidemment, le bailleur qui néglige de solliciter le paiement des loyers ou de demander la résiliation du bail est mal fondé à rechercher la responsabilité du liquidateur du preneur.
Compensation de la créance de dommages et intérêts et le trop-perçu de loyers
L’article L622-14-1 du Code de commerce autorise le bailleur à différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur jusqu’à ce qu’il soit statué sur le montant des dommages et intérêts, ce qui permettra au bailleur d’invoquer la compensation entre la créance de dommages et intérêts, les loyers impayés et le dépôt de garantie.
Le Juge commissaire sera compétent pour admettre la créance de dommages et intérêts, ainsi que la compensation en l’absence de contestation. Si la créance est contestée, la Cour de cassation considère que le juge commissaire n’est pas compétent pour statuer sur une créance de dommages et intérêts ; le juge commissaire devrait alors renvoyer devant le juge de droit commun, en l’occurrence le tribunal judiciaire et ordonner un sursis à statuer dans l’attente d’une décision de la juridiction compétente.
2. Résiliation du bail à l’initiative du bailleur : délai d’attente de 3 mois pour l’introduction de l’action
S’il est décidé, à l’ouverture de la procédure collective, de poursuivre le bail, le contrat doit être exécuté normalement, et les loyers et charges postérieurs à l’ouverture de la procédure doivent être payés.
À défaut, le bailleur pourra demander la résiliation du bail, sous réserve de respecter un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective.
Le principe est posé par l’article L622-14 pour la procédure de sauvegarde, pour la procédure de redressement judiciaire et pour la procédure de liquidation judiciaire, qui dispose :
« Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L622-13, la résiliation du bail des immeubles donnés à bail au débiteur et utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement. »
La procédure de résiliation est dans ces cas régie par l’article R641-21 du Code de commerce : compétence du juge commissaire, requête, le greffier convoque le bailleur, le débiteur et l’administrateur ou le liquidateur.
Le président du tribunal judiciaire reste néanmoins compétent
Rien n’empêche cependant le bailleur qui se prévaut d’une clause résolutoire insérée dans le bail d’utiliser la saisine de droit commun du Président du tribunal judiciaire statuant en référé.
Dans ce cas, la procédure de droit commun devra être respectée (commandement préalable et notification de la demande aux créanciers nantis notamment).
En tout état de cause, le bailleur qui entend se prévaloir de la clause résolutoire, que ce soit devant le juge commissaire ou le Président du tribunal judiciaire, doit délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire dans les conditions de droit commun (cette nécessité étant controversée par certaines cours d’appel lorsque c’est le juge commissaire qui est saisi).
Notification aux créanciers inscrits antérieurement
Cette exigence résulte de l’’article L143-2 du code de commerce, lequel dispose expressément que :
“Le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel s’exploite un fonds de commerce grevé d’inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions. Le jugement ne peut intervenir qu’après un mois écoulé depuis la notification.
La résiliation amiable du bail ne devient définitive qu’un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits, aux domiciles élus”
La notification aux créanciers inscrits est un préalable obligatoire au succès de l’action (avec un délai d’un mois entre la notification et la décision) : le bailleur qui s’en serait exonéré s’expose à une tierce opposition du créancier inscrit.
La résiliation en l’absence de clause résolutoire
Le principe de la résiliation posé par l’article L622-14 2 ne semble pas être dépendant de l’existence d’une clause particulière dans le bail ou de l’invocation de la clause résolutoire (qui impose un commandement) s’il en existe une.
Dans ce cas, et dès lors que ce n’est pas sur le fondement de la clause résolutoire que le bail est résilié, le commandement n’a pas lieu d’être. Seul le juge commissaire est alors compétent pour statuer, la résiliation étant recherchée sur le fondement d’un texte spécifique du droit des procédures collectives.
3. Résiliation judiciaire ou constatation de la résiliation pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire, non liées au paiement du loyer
Certaines causes antérieures au jugement d’ouverture de la procédure peuvent fonder le bailleur à rechercher judiciairement ou à faire constater judiciairement la résiliation du bail (il ne peut le faire de sa propre initiative, sans intervention du juge compétent).
C’est l’article L641-12 qui prévoit cette possibilité en son 2° :
“Sans préjudice de l’application du I et du II de l’article L641-11-1, la résiliation du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise intervient dans les conditions suivantes :
2° Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d’ouverture de la procédure qui l’a précédée. Il doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire”
A priori, même si ce texte n’est pas clair, ces « causes antérieures » ne semblent pouvoir résulter d’un défaut de paiement des loyers, dès lors que les causes financières sont frappées de suspension des poursuites en cas de procédure collective.
D’autres causes devraient donc pouvoir être invoquées sur ce fondement pour justifier d’une résiliation du bail, tel qu’un défaut exploitation du preneur par exemple, un défaut s’assurance si le bail le prévoit, ou encore du non respect de toute autre clauses du bail dont l’importance justifierait une résiliation fautive aux torts du preneur.
Le bailleur devra alors engager l’action dans les 3 mois de la publicité au BODACC du jugement de liquidation judiciaire. Au-delà de ce délai la possibilité de résiliation est « purgée » de causes antérieures au jugement.
Là encore, la procédure de résiliation est régie par l’article R641-21 du Code de commerce : compétence du juge commissaire, requête, le greffier convoque le bailleur, le débiteur et le liquidateur.
III. La cession du bail dans le cadre d’une procédure collective
La cession du bail commercial peut intervenir soit dans le cadre de la cession totale ou partielle de l’entreprise du locataire, en cas de redressement judiciaire, soit de manière isolée, en cas de liquidation judiciaire.
1. Cession du bail avec le fonds de commerce : plan de cession d’entreprise des articles L642-1 et R641-1 et suivants du Code de commerce
La cession d’entreprise dans le cadre d’un redressement judiciaire est en principe précédée d’une procédure de publicité préalable. Pour présenter une offre de reprise, le candidat doit garder à l’esprit les objectifs poursuivis par le Code de commerce, à savoir : le maintien de l’activité, le maintien des emplois qui y sont attachés, et l’apurement du passif.
Le contenu de l’offre doit par ailleurs comprendre l’ensemble des indications prévues par l’article L642-2 du Code de commerce et des garanties de paiement (chèque de banque ou garantie à première demande sans condition).
L’offre du repreneur doit comporter la liste des contrats inclus dans cette offre.
Dans la mesure où la cession du fonds de commerce n’implique pas nécessairement celle du bail des locaux dans lesquels le fonds est exploité, celle-ci doit être décidée expressément dans le plan et le tribunal vérifie le caractère nécessaire du bail au maintien de l’activité.
Le bailleur doit être convoqué à l’audience lors de laquelle le tribunal statuera sur la cession du bail au moins 15 jours avant. Attention, l’agrément du bailleur n’est pas nécessaire, et ce même si le bail contient une clause stipulant le contraire.
Toutes les clauses du bail sont applicables au repreneur, à l’exception de celles qui sont restrictives à la cession qui seront privées d’effet, à savoir : l’accord écrit du bailleur à la cession, le droit de préférence ou de préemption du bailleur, les exigences de formes (acte authentique), la clause de solidarité entre le cédant et le repreneur, mais également le droit de préemption de la commune.
Le jugement qui arrête le plan emporte cession du bail s’il a été jugé nécessaire par le tribunal au maintien de l’activité. Toutefois, le transfert des droits et obligations du bail ne prendront effet qu’à la date :
- de la conclusion des actes de cession ou de la prise de possession par le repreneur ;
- de la prise de possession par le repreneur en vertu du jugement ;
- de l’autorisation de l’administrateur lorsqu’elle intervient antérieurement à ces actes.
Le repreneur ne sera tenu de payer les loyers prévus au bail qu’à compter du transfert de propriété, sauf à ce qu’il se soit engagé, dans le cadre de son offre, à régler des arriérés de loyers.
Dans certains cas, le tribunal pourra autoriser le cessionnaire à ajouter à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. Il s’agit du mécanisme de dit de « cession-despécialisation » prévu par l’article L642-7 du Code de commerce :
« Le tribunal peut, si un contrat de bail soumis au chapitre V du titre IV du livre Ier portant sur un ou plusieurs immeubles ou locaux utilisés pour l’activité de l’entreprise figure dans le plan de cession, autoriser dans le jugement arrêtant le plan le repreneur à adjoindre à l’activité prévue au contrat des activités connexes ou complémentaires. Le tribunal statue après avoir entendu ou dûment appelé le bailleur« .
2. La cession isolée du bail
La cession d’un bail commercial, en dehors du plan de cession, peut intervenir en cas de liquidation judiciaire. Le juge-commissaire soit ordonnera la cession du bail aux enchères publiques, soit autorisera, aux conditions qu’il détermine, la vente de gré à gré des biens non compris dans le plan de cession.
Le liquidateur (ou l’administrateur judiciaire s’il en a été désigné un) peut céder le bail dans le respect des clauses qu’il renferme. Les clauses relatives au droit de préférence du bailleur ou à un tiers, à l’agrément du bailleur, ou encore du droit de préemption de la commune doivent ainsi être respectées si elles y sont insérées (ce qui continue une différence majeure avec le plan de cession dans le cadre d’un redressement judiciaire).
La cession du droit au bail autorisée par le juge-commissaire et acceptée par le bailleur se fait aux conditions applicables au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective. Le bailleur peut exiger le respect de la destination de l’activité prévue au bail, sauf indemnisation.
Si le bailleur ne peut pas se prévaloir de la clause imposant la solidarité du cédant avec le cessionnaire, étant réputée non écrite, il peut en revanche invoquer celle de la garantie solidaire du cessionnaire vis-à-vis de son cédant pour les sommes dues à la date de la cession.
Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires